A...D: Argens, in: Dictionnaire des sciences philosophiques, par une société de professeurs de philosophie. T. 1, Paris: Hachette, 1844, p. 186-187:
ARGENS (Jean-Baptiste Boyer, marquis d’) un des enfants perdus de la philosophie du XVIIIe siècle, naquit en 1704, à Aix en Provence. Son père, procureur général près le parlement de cette ville, le destinait à la magistrature; mais dès l’âge de quinze ans, il annonça une préférence décidée pour l’état militaire, moins gênant pour les passions d’une jeunesse licencieuse. Bientôt épris d’une actrice qu’il voulait épouser, il passa en Espagne avec elle, dans l’intention d’y réaliser son projet; mais il est poursuivi, et ramené auprès dé son père, qui le fait attacher à la suite de l’ambassadeur de France à Constantinople. Mais en Turquie, sa vie ne fut pas moins aventureuse. Il vista tour à tour Tunis, Alger, Tripoli. A son retour en France, il reprit du service. Mais en 1734, il fut blessé au siége de Kehl, et, dans une sortie devant Philipsbourg, il fit une chute de cheval qui l’obligea de quitter la carrière des armes. Déshérité par son père, il se fit auteur, et vécut de sa plume. C’est alors que, retiré en Hollande, il publia successivement les Lettres juives, les Lettres chinoises, les Lettres cabalistiques, pamphlets irréligieux, quelquefois remarquables par la hardiesse des idées et par une certaine érudition anti-chrétienne. C’est sans doute ce qui en plut d’abord à Frédéric II, encore prince royal, et, lorsqu’il fut monté sur le trône, il s’attacha le marquis d’Argens, comme chambellan, et le nomma directeur de son Académie, avec 6,000 francs de pension. Là, d’Argens continua à écrire, et il fit paraître la Philosophie du bon sens, la traduction du discours de Julien contre les chrétiens, publiée d’abord sous ce titre : Défense du paganisme; il donna encore la traduction de deux traités grees, faussement attribués, l’un à Ocellus Lucanus sur la Nature de l’univers, l’autre à Timée de Locres sur l’Ame du monde. De tous ses écrits, ce qui nous reste de plus intéressant aujourd’hui, c’est sans contredit sa correspondance avec Frédéric, auprès duquel il jouissait de la plus grande faveur. On remarque, entre autres, une fort belle réponse d’Argens au roi, qui, dans un des moments les plus critiques de la guerre de sept ans, lui annonçait l’intention de se donner la mort, plutôt que de subir des conditions ignominieuses. Avec bien des travers de conduite, et souvent beaucoup dévergondage d’esprit, d’Argens ne fut pas un méchant homme. Il n’abusa jamais de sa position de favori pour intriguer; et cela ne fut pas étranger sans doute à la préférence que Frédéric lui marqua longtemps. Nous trouvons en lui une application frappante de l’adage qui dit que lorsqu’on ne croit pas à Dieu, il faut croire au diable. Ce philosophe si acharné contre le christianisme, était sujet à des superstitions misérables, qu’on ne s’attend plus à rencontrer que dans les conditions les plus infimes : ainsi, il croyait à l’influence malheureuse du vendredi, il n’aurait pas consenti à dîner, lui treizième à table, et il tremblait si par hasard il voyait deux fourchettes en croix. Agé de près de 60 ans, il s’éprit encore d’une actrice, et l’épousa à l’insu du roi, qui ne lui pardonna jamais. A son retour d’un voyage qu’il avait fait en France, il eut beaucoup à souffrir de l’humeur moqueuse de Frédéric. Il sollicita de nouveau la permission de revoir sa patrie, et alla en effet passer un congé assez long en Provence, où il mourut le 11 janvier 1771. Frédéric lui fit ériger un tombeau dans une des églises d’Aix. A…D.
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