depuis votre derniere letre mon cher ami il s'est passé tant de choses essentielles a mon sujet, que vous ne devés pas etre etonné de n'avoir pas de mes nouvelles. je contois passer a dijon, jusques au commencement de mars, aler faire ensuite un petit voyage a paris d'une quinzaine de jours (mes amis voulant me faire recevoir membre etranger de cette academïe de belles lettres et des inscriptions que l'illustrissime quintus meprise si fort, revenir au commencement d'avril en provence, et en partir vers la moitié de mai pour aler a potsdam, montrer que je scais malgré tous les obstacles tenir ma parole. mais j'ai eté tout a coup forcé de partir au milieu de janvier, encore malade, et a peine convalescent pour me rendre en provence, aiant reçu la nouvelle de la mort de ma mère, morte a l'age de quatre vint quatre, dans trois heures de tems d'un accident d'apoplexie. cette bonne femme m'a traité dans son testament infiniment mieux que tous mes autres frères. je contois qu'elle ne me laissoit que mille ecus de pension viagere, mais outre cette pension elle m'a legué vint mille francs au dessus de ma legitime qui monte a quinze mille livres. cella fait trente cinq mille livres. elle avoit eu deux cent soixante mille livres de dote. vous croiés mon cher ami que j'ai profité de touts ces avantages. vous juges mal de moi si vous me croiés assez peu philosophe pour penser que je derangerai mon frere. j'ai reduit touts ses avantages a la pension viagere de mille ecus pour ma vie durant. apres ma mort a une pension viagere de mille francs pour madame d'argens. et a dix mille francs d'argent contans qui me seront paié dans deux ans, et si je suis mort a madame d'argens, destinés a marier ma petite mina a qui j'avois deja assuré huit cent livres de rente, mon dernier voyage, lorsque je vins en provence. voilla mon cher une moderation qui m'a acquis l'estime de toute la provence; donner apres sa mort, il y a peu d'effort a le faire, car on ne peut rien emporter avec soi, mais se depouiller dès son vivant il faut de la philosophie. cependan malgré ma generosité me voilla a mon aise et plus qu'a mon aise; j'avois mille ecus de rente de france je pouvois vivre honetement, j'ai actuellement deux mille ecus. me voilla en etat de me donner de l'aisance, d'autant plus que mon frère m'a cédé un apartement ma vïe durant dans sa maison d'aix, ainsi soit a la campagne soit a la ville je suis loge gratis ce qui n'est pas une petite afaire. tout cella ne m'empechera pas d'etre exact a tenir ma parole et des que j'aurai arangé quelques afaires que j'ai ici je partirai sans faute. Et je ne passerai pas le tems de mon congé. j'espere pouvoir faire le voyage avec ma niece de la canorgue qui conte partir au comencement de mai avec son frer mr. Kotanosqui, en ce cas je ne passerai pas par paris, et j'irai avec eux tout droit a Strasbourg. mais si par des evenemens impreveus j'etois obligé de partir avant ou apres je ferois une tournée de quinze jours a paris pour y voir mes amis et pour montrer cette ville a ma petite mina qui devient toujour plus instruite. la situation de l'ame mon cher ami influe bien sur la santé du corps. j'ai eté incomodé trois mois a dijon, j'en suis parti malade, et je me porte a merveille en provence. plus d'inquiétude pour l'avenir, ni pour moi, ni pour les gens aucquels je suis ataché. croiés mon cher catt qu'une pareille situation fortifie bien les intestins. par exemple je retourne a potsdam, si l'on n'est point content de moi je scai revenir d'ou je suis parti , j'en suis quite pour avoir fait de l'exercice. d'ailleurs je veux encor voir une fois la holande, et en retourner en provence. Si apres avoir degagé ma parole, je reviens dans ce doux climat, je passerai a la haye. j'ai fait le troisième volume de la glosse, et je travaille dans mes momens de loisir au quatrième qui sera le dernier. je ferai paroitre ces quatre volumes a la fois, un libraire de lion qui a scu que je travaille a un ouvrage nouveau me l'a fait demander avec empressement et se charge d'une permission tacite. je ne veux pourtant pas manquer de parole au libraire de holande. vous alés voir paroitre une nouvelle edition a paques de la philosophie du bon sens en quatre volume dediée a beausobre, merian, malgraf et sulzer. ce sont les quatres plus anciens amis que j'ai a berlin, il y a plus de vint ans que je vis avec eux. je conte vous dedïer une prochaine edition de mes letres juives. c'est a mes amis d'or en avant a qui seuls je veux ofrir mes ouvrages. j'ai recu une letre de d'alembert qui m'a beaucoup remercié de mon epitre dedicatoire de julien. je conte lui ecrire demain ou apres demain.
comment se porte Sa majesté si elle jouit d'autant de santé que je lui en souhete elle sera eternelle dans ce monde ainsi que sa gloire le sera a la posterité la plus reculée. Vous pouvies mon cher ami me rendre un service essentiel mais il ne faut pas agir en courtissan. voiés de quoi il s'agit. je puis me passer de touts les princes de l'univers , me voilla établi dans le plus beau pais du monde. je n'oublie pas cependant que le devoir e ma parole doivent me ramener a potsdam. mais si je ne devois y retourner que pour etre chagriné, bafoué, tourmenté sur la faiblesse de ma santé je crois que je serois dispensé par toutes les lois divines et humaines de m'exposer a une vie remplie d'amertume. aprenés moi donc naturelement a quoi je dois m'atendre , parlés naturelement, dites clairement oui ou non, point de generalité. expliqués vous avec la franchise d'un philosophe et la sincerité d'un ami qui doit décider du sort d'un galant homme, soiés assuré du plus profond secret sur ce que vous m'écrirés.
je vous prie de remetre ces deux letres a leur adresse. l'une est pour mon ancien dometique jean, et l'autre pour une des demoiselles behemer. je vous les recomende instamment. j'ecrirai dans deux jours a notre ami beausobre et a mr. le colonel d'anahalt pour le soliciter en faveur de jean. je ne le fais pas aujourd'huy, parceque je suis accablé d'afaires. je passe ma vie entre des notaires et des procureurs pour finir mes contracts, et terminer mes arangemens. faites je vous prie mes complimens a mr guillaume et a sa femme. j'avais arenté une chambre pour dix ecus pour tenir mes meubles, et il m'en a pris une de dix huit. puisque cella est fait il n'y a rien a dire, mais qu'il ne songe pas a me louer une maison, parceque je veux la choisir moi-meme. madame d'argens restera a berlin quand j'ariverai, et je logerai quelques jours au cabaret a potsdam. j'ofre ici mes tres humble respects a madame de catt. je vous embrasse mon cher ami de tout mon coeur
vale et ama le m. d'argens
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