Compte-rendu des Mémoires de Mademoiselle de Mainville du Marquis d'Argens, dans Observations sur les Ecrits modernes (par Desfontaines), t. 5 (1736), p. 258-262:
M. le Marquis d'Argens, content du succès de ses Mémoires, s'est mis dans le goût d'écrire divers Ouvrages du même caractére. Dans la Préface des Mémoires de Mademoiselle de Mainville* dont je vais vous tracer une légère idée, il s'annonce pour l'Auteur du Mentor Cavalier, & des Memoires du Marquis de Mirmont, & il y justifie par des raisons assez foibles la liberté qu'il prend de nommer quelquefois des personnes vivantes. Ce Roman est à proprement parler un amas d'Historiettes. On trouve d'abord les avantures de Mademoiselle Maurin, échapée d'un Convent, qui épouse le Comte de Mainville. Elle avoit été aimée du Chevalier
*Mémoires de Mademoiselle de Mainvillers, ou Le feint Chevalier. Par M. le Marquis d'Argens. A la Haye, chez Paupie. 1736. in-12.
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d'Assemard, dont elle regardoit modestement les Discours galans, comme un hommage qu'il rendoit à sa beauté. Ce Chevalier gêné par son Oncle & par sa Grand-Mère, ne pouvoit trouver le moment de peindre sa passion à sa Maîtresse. Heureusement la Grand-Mère ordonna à la jeune Demoiselle d'aller dans une de ses terres pour toucher ses revenus: le Chevalier fut l'attendre dans un bois, où il lui débita ses saillies galantes. La Demoiselle, traversée dans ses amours, épouse secretement le Comte de Mainville, & elle est representée d'un caractére rempli d'honneur & de probité.
Cependant la Grand-Mère, par ses mauvais traitemens, force Mademoiselle de Mainville sa fille, à prendre la fuite. C'est auprès de Lyon que cela se passe. A une lieue de cette Ville, la Demoiselle rencontre un jeune homme aimable, nommé Maurel, qui l'avoit inutilement demandée en mariage. Quoiqu'il vînt d'une campagne, il se trouvoit avoir beaucoup d'argent ; il s'offrit de voyager avec sa belle Maîtresse, qui l'agréa, après avoir exigé de lui la promesse de vivre avec toute la bienséance convenable. Ar-
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rivez au Pont-Saint-Esprit, ils prirent des précautions pour éviter certains inconvéniens où ils étoient déjà tombés ; Mademoiselle de Mainville s'habilla en homme, & prit le nom de Chevalier de Vergy; Maurel se para du nom de Mirancourt. Ils se rendirent à Montpellier, où le feint Chevalier plut bientôt aux Dames, & pour n'être pas en reste, il étala toute la coquetterie d'un Petit-Maître. Insulté par le Comte de Vilairet, il en tira raison l'épée à la main, & blessa son ennemi, qui l'estima dans la fuite, & vécut dans une grande liaison avec lui. Mais de ce commerce d'amitié, naquit la passion de Mademoiselle de Vilairet pour le faux Chevalier, qui poussa la feinte jusqu'à consentir de l'enlever. Ce nœud est heureusement coupé par un Conseiller en la Cour des Aydes, rival du Chevalier. Informé par la femme de Chambre de tout ce qui se passoit, il fut lui-même le ravisseur. Le Chevalier fut d'abord soupçonné d'avoir fait le coup; mais ayant découvert sa gorge au Comte de Vilairet, frère de la Demoiselle, tous les soupcons furent dissipées. On découvrit enfin qu'elle avoit été enlevée par le Con-
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seiller, & menée dans un Château, où M. de Vilairet & le Comte son fils se rendirent. Mademoiselle de Vilairet, toujours éprise de son Amant, devint plus traitable, lorsque son frere lui eût dit que le Chevalier n'étoit pas en état d'être son époux. Elle promit d'épouser le Conseiller, si ce qu'il lui disoit étoit vrai. Revenuë à Montpellier, le Chevalier vint la voir; & lui fît toucher sa gorge, pour ne lui laisser aucun doute, Le Chevalier ayant pris le parti de venir à Paris, fut voir la femme du Conseiller, qui l'embrassa tendrement: mais le mari qui vit ces caresses au travers de la porte, vint avec deux pistolets, & en tira l'un sur son rival, qui le fit fuir, en faisant briller le fer dont il étoit armé. On apprit au mari le sexe du Chevalier, & il devint tranquille.
Nos deux Amans vinrent enfin à Paris, & logèrent dans un Hôtel, qui étoit le rendez-vous de personnes célèbres par leurs avantures. C'est d'abord un Gentilhomme Provençal, qui est volé par deux filles de joye; ensuite vient un Comte, qui déguisé en fille, s'étoit introduit dans un Convent, où étoit Mademoiselle de * * * sa Maîtresse. Cette Demoiselle est
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d'une facilité inconcevable à se livrer à son Amant. Cette foiblesse n'inspire que du mépris. L'Auteur n'ignore pas que les Romans n'admettent que celles qui peuvent inspirer de la pitié ou de la haine. Falloit-il salir ces Mémoires de l'avanture de Catin Salo, fille du Maître de l'Hôtel, qui est une vraie Courtisane, & qui accouche le même jour qu'elle devoit épouser un garçon Sellier ? Enfin le Comte de Mainville, frère de l'Héroïne du Roman, arrive dans cet Hôtel, où il conte au Chevalier ses équipées amoureuses. La sœur se découvre au frère; c'est la seule situation interessante. Puis le père arrive, & consent au mariage de sa fille avec Maurel.
Ce Roman est dédié à l'Ombre de l'illustre Bayle. Dans l'Epître Dédicatoire, l'Auteur badine le mieux qu'il peut: " Dans un certain écrit hébraïque j'ai prié, dit-il, un nommé Aaron Menceca, de qui je suis fort ami, de vous assurer combien votre mémoire m'est chère, & jusqu'à quel point je suis votre serviteur." Cet écrit Hébraïque, selon l'Auteur, n'est autre chose que les Lettres juives, apprétiées depuis peu par les Journalistes de Trévoux
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