Compte-rendu d'Ocellus Lucanus, in: Journal de Trévoux LXIV (1764), p. 157-164:
ARTICLE IX. NOUVELLES LITTÉRAIRES. ALLEMAGNE DE BERLIN.
OCELLUS LUCANUS en Grec & en François, avec des dissertations sur les principales questions de la Métaphysique, de la Physique & de la Morale des anciens, qui peuvent servir de suite à la Philosophie du bon sens, par M. le Marquis D'ARGENS, Chambellan de S. M. le Roi de Prusse, &c. A Berlin, chez Haude & Spener, 1762, in-8° de 307 pages sans le 157|158 Disc. Prélimin.
OCELLUS LUCANUS est un des plus anciens Philosophes de l'Ecole Pythagoricienne. Il avoit composé plusieurs Ouvrages, mais les uns sont perdus & nous n'avons les autres qu'en partie , si l'on en excepte celui de l'Univers, dont on donne ici la traduction & qui nous reste tout entier. Il existe plusieurs Editions & Traductions de ce dernier ; Jean Albert Fabricius qui les indique avec soin (Bibl. Grec. Tom. 1. pag. 511.) cite ce distique Latin de Jac. Duport contre le Philosophe Grec qui soutenoit l'éternité du Monde:
Dum mundum aeternum putat, haud
bene cernit Ocellus,
Verâ Lucanus denique luce caret.
La Traduction du Livre de l'Univers, que publie M. le Marquis d'Argens, est réellement faite pour 158|159
servir de suite à l'Ouvrage auquel le même Ecrivain a donné le titre de Philosophie du bon sens. Ceux
qui connoissent cette dernière production nous entendront à merveille, & ils ne seront point du
tout surpris que nous ne donnions pas d'analyse de l'Ocellus françois,
particulièrement des notes ou dissertations que l'on y à jointes. Nous trouvons néanmoins aux pages 246 & 247, un morceau que nos Lecteurs verront avec plaisir, & que nous transcrirons très-volontiers pour donner à la Nation Allemande une preuve de l'estime sincere que nous nous faisons gloire d'avoir pour elle. "Quel est le Pays où il y ait aujourd'hui plus de gens de mérite dans les Lettres qu'en Allemagne? Qui peut s'empêcher d'admirer cet HALLER.... qui unit les talens de Lucrèce à ceux de Pindare & d'Anacréon, Poëte 159|160
Philosophe, Poëte sublime, Poëte galant, grand homme dans tous les différens genres qu'il a également cultivés: Physicien profond, habile Médecin & célèbre Anatomiste? Qui peut encore ne pas chérir ce GELLERT, qui joint la brièveté & l'énergie de Phèdre, à
l'esprit de la Fontaine, & dont la modestie & la douceur égaient les talens? Quel est l'homme
de génie qui ne soit enchanté de RABNER, attaquant dans tes satyres si spirituellement le vice, sans outrager comme l'ont fait les autres Satyriques, les Particuliers qui ont le malheur d'y être enclins? Quelles obligations la Physique n'a-t-elle pas a un TRALLES, Médecin admiré de tous ceux à qui l'Art si utile & si difficile des Hipocrate, des Boerhave, des Sidenham, est connu ?... Quel est le Savant qui n'admire, les conoissances d'un ERNESTI, & qui ne 160|161
s'intéresse à la conservation & au bonheur d'une personne aussi remplie d'érudition, & aussi nécessaire à la République des Lettres, dans un tems où un si grand nombre de gens du bel air, & qui veulent donner le ton , font plus de cas de quelques mauvaises satyres, ou de quelque roman ordurier, que de Sophocle & de Thucidides? Si la France a eu Vaugelas, l'Allemagne a GOTTSCHED: & la langue françoise n'a pas plus d'obligation au premier que l'allemande n'en a au dernier. Quelle foule de Savans ne trouverois-je pas, si je voulois placer ici tous ceux qui vivent aujourd'hui en Allemagne, & dans les Pays de la Suisse où l'on parle Allemand? Un EULER, le rival de Newton; un BERNOUILLI, admiré des plus profonds Géomètres, un MERIAN, joignant la plus grande érudition 161|162
à la plus sublime Métaphysique; un SULZER rendant les sciences aimables & respectables par sa probité & par sa douceur, un MARGRAF élevant la Chymie jusqu'au plus haut point de perfection; un MECKEL portant de nouvelles lumières dans l'Anatomie, un HEINIUS, rival de l'érudition de l'éclairé Thomasius, un FORMEY, unissant un nombre de connoissances, dont chacune semble devoir être le partage d'un seul savant ; un POT, aux yeux duquel la nature se décompose lorsqu'il le veut; un PFAFF, détruisant avec clarté & avec précision tous les sophismes de l'élégant Schefmacher; un ERMAN émule de Saurin, un SAC, Théologien éclairé, savant, modeste & ennemi de la persécution; un COTHENIUS, joignant à la pratique la plus sure dans son art la théorie la plus savante. Enfin tant de grands hommes, qui 162|163
sont dans toutes !es Universités & dont un seul suffiroit pour honorer un Pays moins fertile en Savans que l'Allemagne. Les François, tels que les l'Enfant, les Beausobre, les la Croze, les Peloutier, les Achard, les Premontval, les Franchevile, qui ayant beaucoup de mérite se sont distingués par des talens différens, se sont bien gardés en venant en Allemagne d'en mépriser les Savans; ils savoient trop, qu'ils méritoient l'estime des véritables connoisseurs: ce ridicule est le partage de quelques ignorans semblables à la Mettrie, dont l'érudition est puisé dans le Mercure galant, dont le goût est formé par
quelques feuilles volantes, & par quelques satyres telles que les quand, les mais, les car, les si, &c. Singulière nation que celle à qui tous les monosyllabes de sa 163|164 Langue servent à former des dictionnaires d'injures & de calomnie.
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