Compte rendu du Mandement de l'archevêque d'Aix contre le Marquis d'Argens , in: Correspondance littéraire, philosophique et critique par Grimm, Diderot, Raynal, Meister etc. , éd. Maurice Tourneux, T. 7, Paris 1879, p. 13-14 et t. 9, ibid., p. 426-427:
Il court depuis quelques jours en manuscrit un Mandement de l'archevêque d'Aix contre M. le marquis d'Argens, chambellan du roi de Prusse. Ce Mandement fait fortune : c'est une des meilleures plaisanteries qu'on ait fait depuis longtemps; elle ne pouvait venir plus à propos. Je ne doute pas qu'elle ne rende les points d'orgue de nos prélats un peu moins fréquents. On dit que le roi de Prusse a pris cette tournure pour faire | quitter au marquis d'Argens la Provence, où il est retenu depui deux ans. (T. 7, Paris 1879, p. 13-14)
[ . . . ]
Les détails rapportés dans les Éloges d'hommes connus et célèbres sont faux ou remplis d'erreurs et de mensonges, parce que personne n'est curieux de briller ni de voir la mémoire de ses amis célébrée dans une rapsodie généralement méprisée.'Ils ont fait, dans ce dernier volume, l'Éloge du marquis d'Argens, chambellan du roi de Prusse. Ils le font prisonnier des Autrichiens, quoiqu'il n'ait jamais suivi le roi son maître à la guerre, et ils rapportent à ce sujet ce qui arriva à Maupertuis, tant ils sont bien instruits. Mais vous ne vous souciez guère des bévues de ces grimauds, et vous aimerez mieux savoir comment le roi de Prusse s'y prit pour faire revenir le marquis d'Argens à Potsdam, en 1766. 11 lui avait donné un congé pour aller faire un voyage en Provence, sa patrie. Sa Majesté prévoyait que le soleil de Provence aurait de puissants attraits pour son chambellan, le plus frileux de tous les hommes; qu'il s'y acoquinerait, et qu'il aurait beaucoup de peine à se résoudre à son retour. Cela ne manqua pas d'arriver : en conséquence, le roi envoya au valet de chambre du marquis d'Argens plusieurs exemplaires d'une pièce imprimée, avec ordre d'en placer un sur la cheminée de son maître. C'était un prétendu mandement de l'archevêque d'Aix contre les productions du marquis. Vous l'allez lire, et il vous prouvera que si le roi de Prusse n'avait pas rempli sa place d'homme unique en ce monde, il aurait encore trouvé moyen de briller par sa théologie et par l'onction de son éloquence sacrée parmi les prélats de l'Église gallicane. Ce morceau d'éloquence produisit l'effet que le roi en attendait : le marquis d'Argens, effrayé par ce mandement, fit ses paquets et reprit la route de Potsdam en diligence, sans confier à personne le motif véritable de ce prompt départ. Il changea de nom en traversant la France. A chaque couchée, le valet de chambre eut soin de faire donner à son maître, par l'aubergfste, un exemplaire du mandement comme pièce du jour, ce qui fit doubler le pas au marquis pour regagner un pays où le soleil n'est pas à la vérité aussi beau qu'en Provence, mais où il n'y a ni évêque ni mandement à craindre*. (T. 9, Paris 1879, p. 426 et note, p. 426-427) *Quelques méprises qui se trouvent dans l'Éloge du marquis d'Argens, que Rua, trésorier de France, neveu et héritier du marquis, fit insérer dans le Nécrologe des hommes célèbres de France , fournissent à Grimm l'occasion de traiter, un 426|427 peu trop durement peut-être, les auteurs de ce Nécrologe, et de raconter à sa manière l'anecdote de l'opuscule composé par le roi de Prusse afin de déterminer le marquis d'Argens à quitter la Provence, sa patrie, et à revenir en Prusse. Frédéric II rédigea sous le nom de l' évêque d'Aix un mandement* contre les ouvrages de son chambellan. Il en envoya plusieurs exemplaires au valet de chambre du marquis, avec ordre d'en placer un sur la cheminée de son maître. Le marquis, effrayé par ce mandement, fit ses paquets et reprit la route de Potsdam en diligence. L'imprimé ne sortait pas de ses mains. En relisant le titre et le préambule , il vit, dit M. Thiébaut dans ses Souvenirs (tome V, p. 350 et suiv.) que le saint pasteur se qualifiait évêque et non archevêque : cette observation fut pour lui un trait de lumière qui lui fit deviner toute la supercherie. Aussi le lendemain, avant de partir, il fit mettre à la poste une lettre où, rendant compte à Frédéric de son empressement à le rejoindre, il lui racontait comment le démon de la guerre avait cherché à soulever une brebis fidèle contre son pasteur, ajoutant que si le diable avait jeté les yeux sur l' Almanach royal , il y aurait vu que la ville d'Aix a un archevêque , et non simplement un évêque ; qu'il allait écrire à notre saint-père le pape pour lui dénoncer cette diablerie, etc., etc. Il paraît que Grimm avait sous les yeux une copie du mandement où se lisait le mot archevêque ; ce qui l'a empêché de raconter cette anecdote dans toute son étendue. M. Thiébaut semble avoir lu la lettre du marquis, dont il cite un long passage. Ainsi son récit mérite toute créance. (B.) |