Rezension zu den Songes philosophiques (1746) des Marquis d'Argens und zu deren Kritik durch
Aubert de LaChenaye Desbois, in: L'Avocat pour et contre,
Amsterdam: Ryckhoff Le Fils, Band 2 (1746), S. 60-63 und Band 4 (1747), S. 12-16.
Il a paru depuis peu à Berlin un petit Ouvrage très-ingénieux, sous le Titre de SONGES PHILOSOPHIQUES. Il est sorti de la plume du spirituel Auteur des Lettres Juives &c. C’est en faire l’Eloge. Il contient 20. Songes sur autant de différens Sujèts. Notre Corps pésant & matériel, n’est pas toûjours dans les mêmes dispositions, à plus forte raison notre Esprit, (qui, pétillant, leger, volatile, ne peut rester en place) doit-il changer continuellement de situation, ainsi il n’est pas étonnant qu’on ne trouve pas la même égalité, la même force dans tous ces Songes; car on fait que les songes sont l’Ouvrage de l’Esprit ou de l’Ame, en quelque manière libérée de la matière, ou plûtôt des sensations. Ce Volume n’est que de 216. pag. in 8°. Je suis sûr qu’il n’y aura guères de Lecteurs, qui ne se plaignent qu’il est trop court. Mais qu’ils se consolent, l’Auteur nous fait espérer une suite puisqu’il dit, que ce qu’il donne dans ce Volume, n’est que les prémiers Essais de son travail. Il s’attend à la
reconnoissance du 60|61 Public; il la mérite, toutes les fois qu’il lui donne quelques-unes de ses productions. Il espére en même tems s’avoir beaucoup de Lecteurs, par la raison qu’il y a trop de Rêveurs en Europe, pour que le Recueil de ses Songes ne trouve pas un grand nombre de partisans. Mais il supose sans doute des Rêveurs, qui ont autant d’Esprit que lui, & je crois qu’ils sont rares. Ou’on n’éxige pas de moi, que je donne ici l’extrait de quelqu’un de ces Songes. J’aurois de la peine à me déterminer lequel choisir, & je craindrois de lui faire perdre une partie de ses beautés. Je copierai une partie du cinquième. L’Auteur voit des Gens qui, avec des Chalumeaux, faisoient des Globes de Savons. C’est ainsi qu’il dénote les Philosophes, chèfs de quelque Secte, comme Aristote, Descartes, Malebranche, Newton &c. Chaque faiseur de Bulles, dit-il, avoit ses Partisans & ses Spectateurs, qui, tandis que le Globe subsistoit s’écrioient; c’est-là le seul & véritable Systéme! dès qu’il se dissipoit & se réduisoit en une ou deux goûtes d’eau, ils couroient se ranger auprès d’un autre Soufleur de Bulles; étoient-elles crévées ils passoient près d’un troisième, & ainsi de suite. Il y en avoit d’autres plus à plaindre, ils ne s’éloignoient point du Soufleur, auquel ils s’étoient une fois attachés, & quand ses Bulles crévoient, ils travailloient à les rétablir. Voilà pour ceux, qui jurant in verba Magistri.
Il commence par les Cartesiens. J’aperçus, dit-il, des Gens mornes & pensifs, qui tenoient très-souvent les yeux fermés, pour ne pas voir les objèts, qui auroient pû s’offrir à leur vùë. Ils haïssoient tout ce qui étoit étendu, & faisoient des efforts continuels pour s’élever à une Région, qu’ils apelloient la Région de la Spiritualité, où ils prétendoient qu’ils ne verroient plus rien de Materiel. Mai lorsqu’ils vouloient prendre leur essor vers cette Région imaginaire, une grosse Colonne d’Air les repoussoit vers le centre commun des choses, & ils alloient donner du nez en Terre. Des railleurs leur disoient; «Vous êtes des 61|62 Visionnaires; où prétendez-vouz aller? Restez sur la Terre, comme les autres Mortels. Pourquoi vous figurez-vous des Etres, dont vous n’avez aucune connoissance. Vous resemblez à ces fous, qui fermant les yeux pendant que le Soleil luit, disent que cet Astre n’est pas lumineux. Vous ôtez aux Etres leur Etenduë, & vous vous imaginez la leur ôter réellement. Insensés! une substance peut-elle être, & n’être dans aucun lieu? Et si elle est dans un lieu, ne doit-elle pas occuper une place? Et si elle occupe une place, n’est-elle pas étenduë? Et si elle est étenduë, n’a-t’-elle pas des Parties? Et si elle a des Parties, n’est-elle pas matérielle? Donc toute substance est étenduë, puisque si elle existe, elle doit exister dans un lieu, occuper une place, & avoir des Parties; donc votre Spiritualité est une Chimère, qui vous fait donner du nez en Terre». Honteux de leur chûte, ces Gens allérent se cacher dans un coin, en criant, ba! Descartes, vous êtes la Cause nous nous sommes casse le Nez!
L’Auteur passe aux Malebranchistes. Ils crioient à tous les Passans, Mrs. nous n’avons point de Corps; l'idée, que nous avons de la matiére, n’est qu’une illusion. Ne mangez point, leur disoient quelques personnes sensées, & vous serez bientôt convaincus qu’il y a des Corps. Aussi ne mangeons-nous pas, répondoient-ils, & les repas que nous prenons ne sont qu’en idée. Notre esprit est affecte, par les Loix de la Nature, de certaines impressions, qu’il recevroit, s’il y avoit des Corps, & qu’il en eut un. Un homme de mauvaise humeur, offensé de cette Réponse, dit à un de ces prétendus Esprits, je veux vous convaincre de l’Existence des Corps, & lui apliqua un grand coup de Bâton. L’incorporel, oubliant sa Nature spirituelle, voulut sauter sur cet incommode réfutateur, qui se sauva, ne laissant à l’Esprit bâtu, que la consolation d’avoir recours aux parjures : Tu ès & seras toujours, lui dit-il, une de ces Ames grosses & pesantes, qui ne pouront jamais gouter la sublime 62|63 vérité cherchée & découverte par notre Patriarche, Malebranche. L’Auteur continuë.
Tandis que cet homme s’exhaloit en invective un grave personnage, à la mine doucereuse, s’aprocha de lui & lui dit. Mon Ami, pourquoi vous fachez-vous contre celui qui vous insulte? Ne savez-vous pas que tout est dans l’Ordre des choses. Nous vivons dans le meilleur Monde possible : non seulement il falloit que vous eussiez un coup de Bâton, mais le coup de Bâton étoit meilleur que le non-coup de Bâton. Quoi, répondit le maltraité, il est dans l’Ordre d’être bâtu? Mais, sans doûte, répliqua l’autre; Ha! si vous connoissiez le grand Principe de la raison suffilante, vous ne seriez pas surpris que ce, que vous regardez comme un mal, soit un bien. «Allez, reprit le prémier, vous êtes un vieux fou!» Vous en avez menti, repartit le second. Ils se prirent au colèt; l’un crioit, à moi Malebranchistes! & l’autre, à mon secours Leibniciens! &c.
Ex ungue Leonem; peut-on tourner plus ingénieusement en ridicule, ce que ces trois Sectes ont d’impertinent dans leur Systême? Je renvoïe les personnes d’Esprit, au reste de l’Ouvrage même, en les avertissant avec l’Auteur, que ce n’est qu’un spirituel badinage, Fictis jocari nos meminerit fabulis, dit-il, après Pbédre : ainsi on ne doit point prendre tout ce qu’il dit, au pié de la Lettre, pour lui en faire un crime. Plusieurs Auteurs, dit-il, ont donné leurs SONGES pour des VERITEZ; quant à nous, nous donnons les notres au Public uniquement comme des SONGES.
Kritik der Songes philosophiques von Aubert de LaChenaye Desbois:
Nous avons donné ailleurs une idée de l'ingénieux Ouvrage, intitulé les SONGES PHILOSOPHIQUES, par l'Auteur des Lettres Juives . Nous venons d'en recevoir la Critique. Elle est de Mr. Aubert de la Chenaye , Auteur connu par divers Ouvrages qui ont été goutés en France, où ils ont été imprimés; en voici le Titre, LETTRES CRITIQUES avec des Songes Moraux, à Madame de ***, sur les SONGES PHILOSOPHIQUES de l'Auteur des Lettres Juives , par Mr. Aubert de la Chenaye. Amsterdam chez Jean François Joly . Sans chifre qui désigne l'Année de l'impression, qui est 1747. C'est un 8°. de 280. pag. y compris 12|13 la Préface & la Dédicace, qui contiennent 20. Lettres Critiques ; & 20. Songes Moraux , comme il y a 20. Songes Philosophiques . Voici comme l'Auteur s'exprime dans sa Préface.
«Dans un tems où la Religion, les bonnes Mœurs & les Gouvernemens, se trouvent continuellement attaqués, je suis surpris du peu de zèle, que l'on fait paroitre à en prendre la défense. On recherche avec passion ces sortes de Critiques, on aime ces Ecrits trop libres. Mais est-ce un Public sage & éclairé? Non. L'honnête Homme qui doit tout lire & tout savoir, les lit, non à dessein d'y puiser de dangereux Principes, mais pour en découvrir les Erreurs; & je crois qu'il se fait tout au plus un amusement, & non une étude de ces pernicieux Ouvrages».
L'Auteur raporte ensuite comment il a été engagé à faire la Critique des Songes Philosophiques , & il ajoûte : «qu'il a ecrit ses Lettres Critiques, de façon à pouvoir faire plaisir à deux sortes de Lecteurs. J'invite, dit-il, ceux qui ont de la Religion, & qui la respectent à lire les Songes Moraux I. II. III. IV. VI. XIX. & XX., qu'ils compareront s'ils veulent avec les Songes Philosophiques , indiqués par les mêmes Chiffres. Voilà tout le sérieux & l'important de l'un & de l'autre Ouvrage. Ceux qui se sont amusés des autres Songes Philosophiques , & qui n'aiment que les matières enjouées, trouveront à satisfaire leur Curiosité dans les autres Lettres, où je n'ai cherché qu'à égaler mon Stile & à plaisanter ».
L'Auteur passe ensuite à l'impression, que sa Critique pouroit sur l'Esprit de l'Auteur des Songes Philosophiques , il iui démontre qu'un livre, abandonné au Public, est soûmis à la Censure, & que tout Auteur, dans la République des Lettres est Auteur; mais il déclare le cas qu'il fait de ses rares talens & de son savoir. On voit par-tout que c'est la piété & le zèle de Religion, qui out mis la plume à la main à Mr. de la Chenaye . 13|14 «L'Auteur des Songes Philosophiques , dit-il, ne les a donnés que pour des Songes , & moi j'anonce qu'entre mes Songes Moraux , ceux qui regardent la Religion & les Mœurs, ne sont sortis de ma plume & de mon Esprit, que comme des choses Réflecbies , & que je les donne par des Réalités ».
Il seroit assez difficile de donner un Extrait de ces 20. Lettres. Ainsi je me contenterai de raporter en partie la Critique, que l'Auteur fait du troisième Songe Philosophique , où il s'agit de la Création des Ames.
Je vais vous donner l'extrait du troisième Songe de L'Auteur des Lettres Juives , qui ne peut aussi que vous révolter, & vous inspirer un souverain mépris. Car s'il n'attaque pas l'immortalité de l'Ame, l'origine, qu'il lui donne, ne nous fait pas voir qu'il en ait une grande idée.
Je m'imagine, MADAME, un Palais sans architecture régulière, qu'il apelle le Palais du Sort , parce que c'est-là que le Destin décide du sort heureux on malheureux des Mortels. Dans un Salon, qu'il nomme le Salon de la Destinée , il trouve tous les Dieux du Paganisme à table. Le Palais du Sort. le Salon de la Destinée, Jupiter avec les autres Dieux, qui se régalent, tout cet apareil doit vous paroitre quelque chose de singulier, & de nouveau; cependant vous n'ignorez pas que ces Dieux, suivant la Fable, bûvoient, mangeoient, se divertissoient souvent ensemble, & descendoient quelque fois sur la Terre, ennuïés de leur Nectar & de leur Ambrosie , pour faire en bons parasites d'excellens repas avec les Hommes. Mais ici, il n'y a que notre Auteur témoin de leur scène Bachique. Ces Dieux, en Epicuriens (comme ils l'étoient en effet, car vous savez que l'ignorance leur a donné tous les honneurs de l'Apothéose, afin que les Hommes eussent des Modèles de dissolution & de Libertinage) ces Dieux à ce celèbre Banquèt, où l'Auteur les voit dans son Songe , se livrent à la 14|15 débauche, & remplis des fumées du vin, je me trompe, ils ne s'enivrent que de la douceur du Nectar, ne pouvant s'occuper à quelque chose de sérieux , inventent un divertissement tout à fait comique . C'est Jupiter, qui le propose; & ne vous imaginez pas que Momus, le Dieu de la joïe & de la bousonnerie, va leur donner l'idée de quelque Mascarade, & que sous un déguisement, peut être aussi ridicule que celui que dans la Guerre des Titans, ils furent contraints la plûpart de prendre, pour s'ensuir en Egypte , ils vont courir par le Monde, & faire de nouvelles Maitresses. Non : ces Dieux en bonne humeur, de l'Action la plus sérieuse en font un badinage : volant que le Magazin des Ames , qu'ils envoient sur la Terre, pour perfectionner les Corps qui commencent à se former, est vuide, ils s'occupent à en fabriquer. Voilà le comique divertissement de ces Dieux, voilà la pointe de l'Auteur. Admirez sa rare & belle imaginative , qui se moque de la Religion, de la Raison, de son Espéce même, dont il est un individu qui ne lui fait pas honneur.
J'ai quelque peine à vous faire le récit de la création de ses Ames, car le sujèt ne m'a point du tout paru susceptible de badinage; & je ne comprends pas comment un Ecrivain, dans un prétendu Songe emploïe son esprit, & le mèt à la torture pour se moquer de lui-même. Il faut, avec la beile érudition qu'il s'efforce de nous étaler, qu'il ne soit guères instruit de son être. Je ne crois point qu'on ait porté plus loin l'indécence. Il fait faire à Momus des Boufons & de mauvais Plaisans; à Apollon des Poëtes, des Historiens, des Orateurs, des Critiques, des Peintres & des Sculpteurs; Momus retouche à tous les Ouvrages de ce Dieu du Parnasse , & leur soufle un esprit de folie. ….. Mercure fabrique des Voleurs, des Gens d'affaires, des Partisans, des Entrepréneurs. Venus forme des
Coquêtes, des 15|16 Courtisanes : Minerve fait des Prudes; Mars des Guerriers, des Paladins, des Chevaliers errans, des Bréteurs, Bellone des Amazones & des Vivandieres, & Morpbée des Philosophes.
Vous voïez, MADAME, que par une telle création, il faut qu'un Voleur, soit necessairement un voleur, & une Courtisane une courtisane malgré elle. Ne me répondez pas en bonne Logicienne, qu'il y a dans ce que j'avance, du penchant , & non de la nécessité , & que ma conséquence n'est pas juste. Mais si je dis que nous n'avons point de Liberté, que l'Homme ne peut pas dire être Maitre de ses Actions, & que par conséquent le mérite ne doit pas être récompensé & le vice puni, c'est ce que le Somniateur tend à nous le faire connoitre ». &c.
En voilà allez pour donner une idée du sérieux, avec lequel le Critique fait la Censure des Songes , que leur Auteur n'a donné que comme un ingénieux badinage. Mais il y en a 7., que Mr. de la Chenaye ne peut regarder comme tels, & c'est sur les sentimens, que l'Auteur y déploïe que s'exerce sa Critique, qui, à la vérité auroit pû quelque-fois être moins sévére; mais inutilement cherche-t' on de la Modération dans le zèle , c'est un feu dévorant (§) qui consume tout, c'est ce que prouve les 12. autres Lettres, dans lesquelles le Critique plus gai que caustique, badine agréablement, & enchéri quelque-fois sur la bonne humeur de l'Auteur des Songes . Au reste on trouve beaucoup de feux dans cet Ouvrage, qui est rempli d'une Litterature, qui donne une idée des talens & des connoissances de l'Auteur.
(§) Zelus Domus tua comedit me . S. Jean Ch. 2. v. 17. Igne zeli ipsius consumetur Terra. Sophon. Ch. 1.v. 18.
- La transcription respecte la graphie originale - |