Auger : Article " Argens " in : Biographie universelle ancienne et moderne, ou Histoire, par ordre alphabétique, de la vie publique et privée de tous les hommes qui se sont fait remarquer par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, leurs vertus ou leurs crimes. Ouvrage réd. par une soc. de gens de lettres et de savants. [Ed. par Joseph Fr. Michaud]. Tome 2, Paris 1843, p. 186-187.
ARGENS (JEAN-BAPTISTE DE BOYER, marquis D') naquit le 24 Juin 1704 à Aix en Provence. Son père, procureur général au parlement de cette ville, le destinait à la magistrature; mais l'état militaire convenait mieux à ses goûts, et il y entra dès l'âge de quinze ans. Ses amours avec la belle Sylvie, dont il fait le récit dans ses Mémoires, lui firent quitter le service et la France, pour aller épouser cette comédienne en Espagne. Arrêté à la demande d'un ami de sa famille, avant d'avoir pu exécuter son projet, il fut ramené en Provence, et bientôt envoyé à Constantinople avec l'ambassadeur de France. Son séjour dans les pays musulmans fut marqué par plusieurs aventures folles et plaisantes, qui auraient pu lui coûter la vie. De retour en France, il voulut suivre le barreau pour complaire à sa famille ; mais de nouvelles liaisons avec les actrices l'enlevèrent encore à ce grave métier, et il finit par reprendre celui des armes. Il fut blessé, en 1754, au siège de Kehl ; et apres celui de Philisbourg, il fit une chute de cheval, qui le mit hors d'état d'y remonter jamais, et dans l'obligation d'abandonner le service. Déshérité par son père, il se fit écrivain pour vivre, et passa en Hollande, afin d'écrire librement. Ce fut là qu'il composa ses Lettres juives, chinoises, et cabalistiques. Frédéric II, qui n`était encore que prince royal, désira en connaître l'auteur, et se l'attacher. D'Argens répondit qu'avec sa taille de 5 pieds 7 pouces, il y aurait du danger pour lui à passer près de Frédéric-Guillaume. Ce roi-caporal étant mort, son fils écrivit à d'Argens de ne plus craindre les bataillons des gardes, et de venir les braver jusque dans Potsdam.
Il s'y rendit, fut fort bien accueilli, et, après quelque temps d'incertitude sur son sort, reçut la clef de chambellan, 6,000 livres de pension, et la place de directeur général des belles-lettres de l'académie. Il était des soupers et de la société habituelle du roi, qui paraissait le préférer à beauoup d'autres, à cause de sa bonhomie et de sa conduite tout à fait exempte d'intrigue et de tracasserie , mais qui ne l'en épargnait pas davantage dans ses plaisanteries, et lui jouait même nombre de tours malins, auxquels il donnait lieu par ses manies hypocondriaques. Presque sexagénaire, il devint amoureux d'une comédienne nommée Cochois, et l'épousa à l'insu de Frédéric , qui ne l'apprit pas sans beaucoup d'humeur, et en conserva toujours du ressentiment. Après la guerre de sept ans, étant allé voir sa famille en Provence pour la seconde fois depuis son établissement en Prusse, Frédéric imagina de composer sous le nom de l'évêque d'Aix, et de faire répandre sur la route du marquis un mandement où il était signalé et excommunié comme impie. Cet écrit lui donna d'abord de vives alarmes ; heureusement il découvrit la ruse, au titre d'évêque d'Aix, que Frédéric, par mégarde, avait employé à la place de celui d'archevêque. Retourné en Prusse, il eut plus que jamais à souffrir de l'humeur caustique du roi ; il demanda la permission de faire un troisième voyage en Provence ; elle lui fut d'abord refusée, puis accordée pour six mois seulement. Il retournait auprès du roi lorsqu'il tomba malade à Bourg-en-Bresse : le roi, qui se crut joué, se livra à des emportements indignes de lui. D'Argens, se regardant comme dégagé de sa promesse, reprit le chemin de la Provence , où il passa environ deux ans dans un petit bien que lui avait donné l'un de ses frères , trop généreux pour ne pas enfreindre en sa faveur l'acte d'exhérédation. Il mourut le 11 janvier 1771, dans sa 68e année, après avoir manifesté des sentiments, et même exercé des pratiques de dévotion que sa vie et ses écrits ne faisaient point attendre de lui. Frédéric lui fit enlever un mausolé dans l'église des minimes d'Aix.
Ces ouvrages sont : 1° Lettres juives, 1754, 8 vol. in-12 ; 2° Lettres chinoises, 1755, 6 vol. in-12 ; 3° Lettres cabalistiques, 1769, 7 vol. in-12 ; 4° Philosophie du bon sens, 1768, 3 vol. in12 ; 5° Mémoires du Marquis de Miremon, ou le Philosophe solitaire, 1736, 1 vol. in-12 ; 6° Nouveaux Mémoires du comte de Bonneval, publié sous le nom de Mirone, 1737, 4 vol. in-12 ; 7° Mémoires du chevalier de ***, 1745, 2 vol. in-8° ; 8° Mémoires du comte de Vaxère, ou le faux Rabbin, 1757, 1 vol. in-12 ; 9° Mentor cavalier, 1736, 1 vol. in-12 ; 10° Nonnes galantes, ou l'Amour embéguiné, 1749, 1 vol. in-12 ; 11° Discours de l'empereur Julien contre les chrétiens, nouvelle édition, avec des notes de Voltaire, 1768, 1 vol. in-8° ; 12° Songes philosophiques, 1746, 1 vol. in-12 ; 13° Triomphe de la Vertu, ou Voyages sur mer et Aventures de la comtese de Bressol, 1741, 3 vol. in-12 ; 14° Traduction d'Ocellus Lucanus, Berlin, 1762, 1 vol. in-12 ; 15° Traduction de Timée de Locres, Berlin, 1765, petit in-8° ; 16° Réflexions critiques sur différentes Écoles de peinture, 1750, in-12 ; 17° Mémoires secrets de la République des Lettres, 1744, 7 vol. in-12 ; 18° Lettres philosophique et critiques, par madame Cochois , avec les Réponses de M. d'Argens, 1744, 1 vol. in-12 ; 19° Mémoires du marquis d'Argens, nouvelle édition, 1807 , 1 vol. in-8° ; 20° Mémoires secrets et universels de la République des Lettres, Berlin, 1765-1768, 14 vol. petit in-8°. C'est une nouvelle édition entièrement refondue des Mémoires secrets de la République des Lettres. Ces nombreux ouvrages, fruit d'une philosophie audacieuse que ne contenait ni la crainte de l'autorité, ni celle des jugements publics, ont joui assez longtemps d'une sorte de vogue qui a fait place au dédain, et même à l'oubli. L'instruction y est grande et variée, mais employée avec trop peu de goût, de critique et de bonne foi ; les rapprochements y sont quelquefois ingénieux, mais beaucoup plus souvent bizarres ; le style en est facile, mais diffus, chargée de néologismes, et en général entaché de tous les défauts qu'entraîne l'habitude d'écrire vite et beaucoup, dégénérée en métier ou en manie. - Son frère, chevalier de Malte, a publié des Réflexions sur le devoir et l'état des chevaliers de Malte.
A - G - R.
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